La dérive des plans EXE au Maroc : Comment les BET perdent leur valeur ajoutée

Une pratique de plus en plus répandue
Dans le secteur de la construction au Maroc, une tendance inquiétante se dessine. Face à une guerre des prix sans merci, les Bureaux d'Études Techniques (BET) adoptent une approche qui compromet la qualité de leurs prestations.
Le processus actuel : Les BET se contentent de produire des plans DCE (Dossier de Consultation des Entreprises) pour extraire les quantités et lancer l'appel d'offres. Ensuite, l'entreprise retenue doit réaliser elle-même les plans d'exécution (EXE), à ses propres frais, sur la base de ces plans de principe.
Cette pratique séduit les maîtres d'ouvrage qui obtiennent un DCE en un temps record - parfois en une semaine seulement à partir des plans APS de l'architecte. Un rêve devenu réalité... en apparence.
Les anomalies structurelles cachées
1. Le conflit d'intérêts des entreprises
Les entreprises engagent leurs propres BET pour réaliser des plans d'exécution qui servent avant tout leurs intérêts commerciaux. Si une variante n'est pas économiquement avantageuse, l'entreprise demande simplement au BET de proposer une solution plus rentable.
2. Des validations sources de tensions
La validation des plans d'entreprise par le BET du maître d'ouvrage devient un exercice délicat. Un ingénieur doit valider le travail d'un confrère qui n'accepte pas forcément la remise en question de ses choix techniques. Les conflits sont inévitables.
3. L'incomplétude des études DCE
Le travail initial du BET, limité au DCE, présente souvent des lacunes et des incohérences. Résultat : des problèmes récurrents avec le maître d'ouvrage et une dégradation de la relation de confiance.
Un cercle vicieux destructeur
Cette pratique généralisée dévalorise progressivement le rôle des BET. Perçus comme de simples producteurs de plans basiques et d'estimations approximatives, ils subissent une pression croissante sur leurs prix.
Le cercle vicieux s'installe : prix bas → livrables de moindre qualité → problèmes sur chantier → dévalorisation supplémentaire → pression sur les prix.
Le risque ultime : Dans certains cas, les maîtres d'ouvrage écartent carrément le BET initial pour éviter les conflits, laissant l'entreprise libre de ses choix techniques. Une situation dangereuse quand les études sont biaisées par des considérations purement financières.
La solution : Reprendre le contrôle de l'exécution
Ma recommandation principale
Les BET qui souhaitent retrouver leur crédibilité et imposer des tarifs justes doivent abandonner cette approche minimaliste. Il faut livrer de vrais dossiers d'exécution complets, contenant tous les éléments nécessaires à la réalisation et au chiffrage précis de l'ouvrage.
Le rôle de chacun redéfini
Une entreprise est là pour exécuter, pas pour concevoir. Certes, certains éléments spécialisés (planchers industriels, poutrelles hourdis, post-tension) nécessitent l'intervention des fournisseurs, mais ces aspects ponctuels peuvent être maîtrisés par une collaboration en amont avec des partenaires de qualité.
Le plan d'action pour les BET
1. Changer de modèle économique
Les BET convaincus de cette approche doivent réviser leur business plan et assumer pleinement la responsabilité des livrables d'exécution.
2. Investir dans la qualité
- Former les équipes aux standards d'exécution
- Investir dans les outils qui peuvent augumenter considérablement la vitesse de production et la qualité de leurs livrables.
- Établir des processus de validation interne rigoureux
- Définir des standards de livraison clairs
3. Accepter l'investissement initial
Cette transition ne sera pas immédiatement rentable. Mais sur le long terme, ce sont les clients qui viendront chercher ces BET pour la réputation de qualité qu'ils auront bâtie.
Conclusion
La reconquête de la valeur ajoutée des BET marocains passe par un retour aux fondamentaux : produire des études complètes et assumées. C'est le seul moyen de sortir de ce cycle destructeur et de retrouver la confiance des maîtres d'ouvrage.
Le marché récompensera ceux qui auront eu le courage de changer leur approche et d'investir dans l'excellence technique.